La sélection du Prix RTS Littérature Ados sous la loupe du jury cantonal
Dans le cadre du Prix RTS Littérature Ados, neuf jeunes ont débattu à la Médiathèque Valais de Saint-Maurice pour déterminer le choix du livre valaisan à défendre ensuite au niveau romand. Ce concours est organisé en partenariat avec l’Institut suisse jeunesse et médias (ISJM), en collaboration avec la Conférence intercantonale de l’instruction publique (CIIP).
Luna (CO à Saint-Maurice), Tamara, Izia et Enora (CO de Martigny), Elyan et Alexandre (CO de Nendaz), Mathieu et Lenny (bibliothèque de Collombey-Muraz) ainsi que Lena (bibliothèque-médiathèque de Sierre)[1] ont passé leur mercredi après-midi à en médiathèque pour désigner leur roman coup de cœur parmi les cinq retenus. Enfin eux étaient surtout venus pour parler des livres de la sélection et rencontrer d’autres lecteurs. Les délibérations organisées par Evelyne Nicollerat, bibliothécaire responsable de la Documentation pédagogique pour le Valais romand à la Médiathèque Valais – Saint-Maurice et coordinatrice de ce concours au niveau cantonal, se sont déroulées en présence de Christine Fontana, coordinatrice de plusieurs projets à l’ISJM.
Entrons au cœur des discussions autour des livres. Les délégués jugent les thèmes et le style d’écriture des romans de la sélection comme étant variés, même si plusieurs déplorent le côté très sombre des romans retenus, mettant en scène le malheur des personnages jusqu’à l’excès. Pour l’anecdote, Luna explique avoir renoué avec le plaisir de lire grâce à cette sélection et la découverte du conte philosophique L’Alchimiste de Paolo Coehlo.
Passager de l’été
Pour plusieurs membres du jury cantonal, l’intérêt du livre de Jean-Philippe Blondel, c’est de découvrir le courage de Samuel, 18 ans et son bac en poche, qui part seul en voyage en train à travers l’Europe, alors que cette aventure avait été prévue avec Adrien, ce dernier lui ayant fait faux bond à la dernière minute. Voir le personnage principal évoluer dans sa sociabilité, grâce à son idée de filmer d’autres jeunes de son âge, les a touchés. «J’ai apprécié les interviews qui interviennent dans le récit, car c’est une manière d’apprendre à connaître les personnes rencontrées», commente Enora, sensible à ces destins particuliers. Luna défend avec fougue ce roman, l’ayant trouvé léger sans vraiment l’être: «Dans les interviews, lorsque les gens témoignent de leurs malheurs ou de leurs difficultés, cela nous aide à relativiser nos problèmes, et j’imagine que c’était le but de l’auteur.»
Les ados soulignent que Passager de l’été est particulièrement facile à lire et convient aussi aux plus jeunes, l’intrigue n’étant pas compliquée à saisir. De plus, ils relèvent que ce récit initiatique contient des pistes pour se défaire des amitiés toxiques et met en valeur le courage. Ils recommandent ce livre à tous ceux qui aiment les voyages. Parmi les bémols relevés par quelques-uns, il y a certes la structure répétitive des interviews.
C’est beau de mentir
Le mensonge est au cœur du roman de Catherine Grive, aussi les délégués ont surtout évoqué les questions de moralité et de tension pour le lecteur. Certains se sont attachés à l’amie du personnage principal qui vole pour faire partie des filles «populaires» et plusieurs ont été sensibles aux mises en difficulté de l’héroïne, dont la volonté farouche est de faire croire qu’elle est une riche héritière, alors qu’elle vit avec sa mère dans un minuscule appartement d’un grand immeuble parisien. L’un des jeunes dit que c’est un «roman imbibé de mensonges». «J’ai adoré la fin de l’histoire, car j’ai alors eu l’impression de connaître ce personnage», s’enthousiasme Izia. Lenny complète: «J’ai aussi beaucoup aimé ce récit et son dénouement, même si celui-ci était assez prévisible.»
Les délégués disent que C’est beau de mentir est un livre facile d’accès et agréable à lire, qui se savoure avec plaisir sans s’arrêter. Côté nuances, ils signalent que certains lecteurs habitués à l’action pourraient s’ennuyer, car dans une bonne partie du livre Lucille se retrouve coincée dans l’ascenseur de l’immeuble, avec ses mensonges. A noter que c’est le seul livre qui n’a été cité par aucun délégué lors du tour visant à éliminer l’un des romans de la sélection avec l’objectif de se concentrer sur les quatre autres.
Quand on dansait sur les toits
Le roman de Tristan Koëgel, construit sur l’alternance de deux voix, a plu aux délégués qui observent que ce livre aurait pu être un livre déprimant, car il est question de cancer, alors qu’il est lumineux grâce au pouvoir de l’amitié. Tamara, ayant eu de la facilité à se mettre dans la peau des personnages, relate ainsi ce flot d’émotions contrastées: «Cette histoire nous rappelle que même avec des risques de mourir, il faut profiter de la vie sans laisser passer les occasions, car on n’aura pas mille ans.» Lena, touchée par le style d’écriture de cet auteur lui ayant fait ressentir les émotions avec intensité, ajoute: «C’est un livre à la fois triste, émouvant et joyeux, qui ne le serait pas autant sans cette épée de Damoclès sur la tête de Mayssane.» Les jeunes se sont tout particulièrement attachés au personnage secondaire de la prof de français Madame Amari et au rôle qu’elle joue dans la vie de Mayssane et de Pablo.
Les délégués valaisans recommandent cette belle histoire pour ceux qui sont friands de messages ayant une portée philosophique et poétique. Quelques-uns, n’ayant pourtant pas immédiatement compris la fin de Quand on dansait sur les toits ou ayant été déstabilisés du fait que Pablo parle à une plante, sont d’avis que c’est certes un niveau de lecture supplémentaire auquel ils n’ont pas accédé du premier coup, mais que cela n’enlève en rien l’intérêt de se plonger dans ce roman qui entraîne le lecteur dans son sillage, malgré quelques incohérences et une part de flou.
Liverpool-sur-Somme
Le livre de Martine Pouchain a permis aux jeunes de découvrir la vie de Kevin, victime d’un accident, qui perd son père et se retrouve amputé des deux jambes à Ailly-sur-Somme, ville aux allures de Liverpool, ancienne cité ouvrière. Un destin tragique illuminé par la rencontre avec Sami, l’épicier venu d’Irak, et dont les relations ressemblent un peu à celles d’un père avec son fils, ce qui aux yeux des adolescents est d’autant plus fort puisqu’ils n’ont pas de liens de sang. Assurément, ils ont eu un coup de cœur pour Sami, dont la vie aurait pu basculer lorsqu’il a gagné une grosse somme d’argent au loto, mais qui est resté fidèle à lui-même. «Dans ce texte, on a vraiment l’impression que c’est le personnage qui écrit l’histoire, tant le ressenti est celui d’un jeune», observe Mathieu.
Pour le jury, malgré une accumulation d’aspects a priori déprimants, en reprenant les mots d’une des ados, «il y a quelque chose de beau dans Liverpool-sur-Somme». Plusieurs soulignent que c’est un livre dont les messages positifs rejaillissent sur le lecteur, notamment cette prise de conscience que l’espoir du bonheur mérite persévérance. Pour tous, ce livre aurait été bien meilleur, avec juste un peu moins de drames dans la vie de Kevin, ce qui aurait rendu le récit plus réaliste.
Histoire de la fille qui ne voulait tuer personne
Le livre de Jérôme Leroy a embarqué nos jeunes lecteurs après la Décennie Terrible entre 2033-2043. «Ce roman montre les conséquences possibles du dérèglement climatique, avec l’exclusion des gens du Dehors et la condamnation des opposants au régime dans une dictature universelle, ce qui pourrait potentiellement arriver, donc c’est un récit qui interpelle le lecteur», analyse Alexandre. Elyan complète: «Dans ce livre où l’histoire est comme filmée par plusieurs caméras, il n’y a pas seulement les aventures d’Ada, l’héroïne, mais celles de tout un monde, avec il faut l’admettre une certaine difficulté pour parvenir à comprendre son fonctionnement.»
Plusieurs délégués sont d’avis qu’on peut lire l’Histoire de la fille qui ne voulait tuer personne pour son côté romance et entraide, sans trop s’attacher à ce régime qui offre une certaine opulence, mais prive de liberté, tout en obligeant à tuer sans vergogne. Ils précisent toutefois que ce livre, qui met en valeur la persévérance pour ne pas abandonner son idéal malgré les obstacles, passionnera ceux qui apprécient les dystopies, avec beaucoup de personnages et d’actions, et c’est encore mieux s’ils sont curieux de décrypter la dimension politique de la complexité du monde, car c’est comme entrer dans un grand tableau. Ils supposent que ce roman pourrait intéresser aussi les jeunes adultes, car ils saisiraient assurément mieux ce qu’est une dictature, la morale et la liberté. Parmi les réserves de quelques membres du jury, il y a certaines longueurs dans les passages très politiques.
Et le livre du jury valaisan est ou n’est pas…
Même si tous les élèves étaient là pour choisir le livre préféré du groupe, personne n’a voulu imposer son choix. Ils auraient préféré discuter des romans sans avoir à en défendre un en particulier. En effet, ceux qui votent pour éliminer un livre se retrouvent face à d’autres qui le défendent avec conviction, ce qui démontre combien ils sont partagés. Après des hésitations et des changements d’avis, ils se sont accordés pour retenir Quand on dansait sur les toits, considérant que c’est le roman le mieux adapté pour toucher un grand nombre de jeunes lecteurs. Et là, vous vous dites que c’est bizarre, sachant que certains ont peiné à saisir la fin de l’histoire, mais c’est le choix du compromis. Histoire de la fille qui ne voulait tuer personne arrive en deuxième position et les trois autres à égalité en troisième.
Les délégués suggèrent aux enseignants de présenter en classe la sélection en laissant les élèves choisir en fonction de leurs goûts. Par ailleurs, ils considèrent que cela ne fait pas vraiment sens d’être noté après avoir lu un ou plusieurs de ces cinq romans, ce qui n’est du reste pas dans l’esprit de la dimension de «lecture plaisir» souhaitée par les organisateurs du Prix RTS Littérature Ados.
Après les délibérations, les ados ont élu leur porte-parole, à savoir Lena, pour représenter leur «choix» au Salon du Livre à Genève réunissant un délégué par canton.
La sélection
«Je vais faire de ma vie un feu de joie dont je serai l’étincelle.»
Jean-Philippe Blondel in Passager de l’été (Actes Sud Jeunesse, 2023)
«Le rêve de tout menteur serait-il d’être démasqué?»
Catherine Grive in C’est beau de mentir (Sarbacane, 2023)
«La vie, c’est vrai, c’est rien qu’un foutu carnaval, Jacinthe.»
Tristan Koëgel in Quand on dansait sur les toits (Didier Jeunesse, 2023)
«Sami m’a dit que j’étudierai sans doute Dostoïevski en terminale et que c’était nourrissant.»
Martine Pouchain in Liverpool-sur-Somme (Thierry Magnier, 2023)
«Je suis, comme toutes les Pionnières, une excellente élève.»
Jérôme Leroy in Histoire de la fille qui ne voulait tuer personne (Syros, 2023)
Alexandre, Lena et Luna
Lire à l’école: discussion avec Alexandre, Lena et Luna
Lors des délibérations, certains ados ont mentionné qu’ils étaient les seuls de leur classe à avoir lu les cinq romans de la sélection du Prix RTS Littérature Ados. Pour Alexandre, «tout au long de l’année, ce serait bien que les enseignants fassent découvrir des textes du XXIe siècle pour montrer comment les thématiques qui nous entourent sont abordées». Et Luna va dans le même sens: «A l’école, c’est très bien qu’on découvre des auteurs anciens, mais il y a aussi de très beaux textes contemporains.» Lena est d’avis que «les enseignants devraient présenter les livres sélectionnés dans le cadre de prix littéraires pour les jeunes». Pour Alexandre, Lena et Luna, il faudrait lire davantage à l’école, et pas seulement des lectures imposées et évaluées. Ils suggèrent de lancer des clubs de lecture dans les CO. Par ailleurs, tous trois pensent que ce serait une bonne idée d’échanger en classe autour des lectures appréciées par les élèves pour mettre en évidence la variété des histoires et des styles. Et les voilà qui digressent sur leur livre préféré. Alexandre résume avec enthousiasme La part de l’autre. L’une des bibliothécaires présentes lors des délibérations se mêle à la conversation pour indiquer qu’Eric-Emmanuel Schmitt est l’un des invités d’honneur du Salon du livre à Genève.
[1] Paméla Franzen, Sophie Mathey, Dorothée Odouard (enseignantes) ainsi que Samantha Gothuey et Véronique Sarrasin (bibliothécaires) ont accompagné les groupes de lecture. La bibliothèque de Savièse a également animé un groupe, sans avoir de délégué pour les délibérations.
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